Argumentaire
Dans la philosophie classique allemande, le concept de Bildung (pouvant être traduit, selon les contextes, par formation, éducation, culture ou encore édification) joue un rôle de premier plan et fait l’objet d’une série de conflits d’interprétation. Chez la plupart des représentants de l’Idéalisme allemand, la Bildung ne doit pas être pensée seulement comme une théorie de l’éducation stricto sensu, mais plus généralement comme un complexe conceptuel original où la « formation » est pensée à la fois comme un opérateur éthique de culture de soi, une fonction constitutive des relations sociales et un levier politique de renversement des rapports de force. Les dimensions pédagogique et politique y sont si intimement liées qu’on peut voir dans le concept de Bildung le titre général de la détermination réciproque de ces deux domaines, le lieu même de l’interface politico-éducative de la réalisation de la liberté. Se posant à la fois comme projet éthico-culturel et comme paradigme politico-éducatif, le concept de Bildung indique le processus de transformation des sociétés à travers la libre formation de l’individu. Une tension y apparaît d’ailleurs déjà entre promotion de la démocratisation des sociétés modernes par la formation du jugement du public et de l’autonomie collective, et la critique des tendances démocratiques parfois perçues comme favorisant le nivellement par l’égalisation et la massification de la culture.
Alors que les études portant sur la Bildung abordent d’ordinaire isolément les théories des auteurs de cette période, il convient aujourd’hui d’entreprendre une comparaison systématique des philosophies de la Bildung dans la philosophie classique allemande (Herder, Mendelssohn, Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Schiller, Schleiermacher, Goethe, Humboldt) qui puisse se construire autour de différents axes thématiques, où s’expriment des tensions entre des pôles opposés portant sur sa vocation émancipatrice et les modalités de sa fonction transformatrice. Mais outre ce travail de reconstruction historique et systématique, il faut aussi pouvoir montrer jusqu’à quel point l’idéal moderne de la Bildung est encore actuel dans ses ressources conceptuelles et normatives, d’une part en le mettant à l’épreuve des reprises critiques dont il a pu faire l’objet depuis la fin du xixe siècle, et d’autre part en le confrontant à certains enjeux politico-éducatifs contemporains. Ce qu’il faudra interroger et problématiser, c’est plus généralement le sens même de l’inactualité inévitable et tout à la fois d’une actualité possible d’une idée philosophique qui s’est développée dans une époque et un contexte qui ne sont plus les nôtres et qui pourtant continue à faire sentir son influence, sa pertinence et ses effets dans les représentations, les discours et les pratiques.
C’est à ce double travail de reconstruction historico-systématique de la philosophie moderne de la Bildung et de mise à l’épreuve de sa pertinence actuelle que se consacrera le colloque intitulé « Bildung. L’actualité intempestive d’une idée moderne », grâce à la participation de spécialistes de la philosophie classique allemande qui chercheront à mettre en évidence non seulement la fonction systématique du concept de Bildung, mais aussi sa réception critique, sa postérité indirecte et ses ressources encore inexploitées pour la pensée contemporaine.
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